« Il pleut dans la maison », un film de Paloma Sermon-Daï (2023)
Il y a trois ans, la namuroise Paloma Sermon-Daï gagnait le Bayard d’or au FIFF (Festival International du Film Francophone de Namur) avec son premier long-métrage, Petit Samedi. Dans ce film mêlant documentaire et fiction, elle suivait sa mère et son frère, ancien toxico, dans leur vie de tous les jours, dans des conversations ou des situations de la vie quotidienne, mais aussi en leur faisant «rejouer» des scènes vécues. Si le film s’avérait ambigu voire problématique dans la manière de mettre en scène ces êtres proches, sans distance ni recul, il construisait malgré tout une identité visuelle notable, notamment dans sa manière de restituer les intérieurs de la maison de la mère, lieu emblématique de ce film d'enfermement où perçait malgré tout par moment la lumière. Dans son deuxième long-métrage, Il pleut dans la maison – que Paloma Sermon-Daï présente également au FIFF, après un passage remarqué par la Semaine de la Critique à Cannes –, on trouve une proximité esthétique et/ou visuelle avec Petit Samedi, d’autant plus que, une nouvelle fois, la maison, le foyer familial, y occupe une place déterminante.
Au sein de cette maison dans laquelle il pleut vivent Makenzy et Purdey, frère et sœur, ainsi que leur mère, alcoolique, souvent absente. Pour se faire de l’argent et survivre en l’absence de la mère démissionnaire, Purdey travaille de manière précaire en tant que femme de ménage, et Makenzy s’improvise «voleur de bicyclettes» - et revendeur - avec son meilleur ami Donovan. Ce récit assez minimaliste qui se donne un peu comme une chronique dans laquelle les instants de vie montrés ne sont pas forcément les plus saillants, les plus «dramatiques», on reconnaît tout à la fois un naturalisme «mainstream» ou mou, mais également des influences diverses - et diversement volontaires, probablement -, des frères Dardenne à Abdellatif Kechiche. Mais malgré ces influences parfois envahissantes et le terreau social dans lequel s’ancre Il pleut dans la maison, ce qu’il en ressort de manière assez étrange, c’est une volonté quasi constante, opérant comme une sorte de lubrifiant, de créer une connivence presque humoristique entre les trois jeunes personnages principaux du film et le spectateur. C’est ce qui a également marqué la réception du film dans une salle composée de spectateurs d’âges variés lors de sa présentation au FIFF. Ce sont les rires des plus jeunes qui ont émaillé la projection, parfois à des moments impromptus, des rires que nous n’avons d’ailleurs pas toujours compris, même si nous comprenons la volonté de la réalisatrice de contrebalancer ce qui pourrait être pesant par, sinon un comique véritable, au moins une certaine forme de légèreté.
Il y a en tout cas dans Il pleut dans la maison cette idée que la situation précaire, réellement dramatique, des personnages principaux, n’est pas une raison pour plonger le film dans sa globalité, et le quotidien des personnages dans son entièreté, dans la morosité ou dans un pathos plombant. Une situation précaire ne détermine pas le caractère et l’humour des individus. C’est en quelque sorte l’idée maîtresse d’un film qui s’éloigne en cela de drames sociaux «à sujet» tels que l’on peut toujours en voir à foison dans nombre de festivals, y compris ces dernières années au FIFF. Malgré tout, Il pleut dans la maison n’échappe pas à certains passages obligés du genre, et ne peut s’empêcher de produire un discours scénaristique parfois appuyé quant à une violence sociale sourde que l’on ne fait que deviner la majeure partie du film, mais qui ne transperce qu’à de ponctuelles occasions, conçues comme de véritables trouées «négatives», des piqures de rappel disséminées ça et là, comme pour signifier explicitement que l’on parle tout de même d’inégalité sociale.
Ces démonstrations de force interviennent notamment à chaque fois que la question de l’argent est évoquée par le récit ou par les personnages, d’abord de manière détournée, lorsque le brave Makenzy râcle ses poches pour y récolter quelques pièces à donner à une vieille dame qui fait la manche, scène faussement «attendrissante» qui charrie surtout un fond de bien-pensance à la limite de la naïveté et qui tranche complètement avec les scènes de vols de vélos, par exemple. Mais les véritables démonstrations d'Il pleut dans la maison viennent plus tard dans deux tunnels dialogués qui se taxent par une issue en forme de mur que se prend en pleine face un personnage et/ou le spectateur. Dans l’une, Purdey se fait faire la morale par son petit ami, qui lui reproche de vouloir travailler et gagner un salaire de misère, tout de suite, plutôt que de faire des études et d’investir sur la durée afin d’espérer obtenir au bout du compte, mais bien plus tard, une situation stable. Il apparaît évident d’emblée que ce discours est inaudible par Purdey à cet instant t, dans la situation de précarité où elle se trouve, tout comme il est inaudible pour le spectateur qui a, à ce point-là, été suffisamment familiarisé avec le quotidien de la jeune femme pour savoir que ce que suggère ce petit ami bien plus aisé est tout simplement inenvisageable.
L’autre «grande scène» démonstrative d'Il pleut dans la maison qui, pour le coup, flirte tout de même avec une tendance proche de celle de la «claque» ou du «coup de poing», est une conversation entre Makenzy et un jeune ado bruxellois en vacances dans les environs, que l’on identifie assez vite comme étant un «fils à papa». Quand Makenzy se rend compte que son interlocuteur, avec qui il vient de partager un joint, a un rapport à l’argent et aux loisirs nettement plus relâché et désinvolte que lui, débitant sans se rendre compte des énormités sur la manière dont la cuillère en argent arrive dans sa bouche, Makenzy se raidit et impose au fils de bonne famille de payer le joint sur lequel il vient de tirer, avant de lui mettre littéralement la tête sous l’eau quand celui-ci refuse de payer. La scène est fort heureusement coupée au début de l’accès de violence de Makenzy. Mais est-ce au final une si bonne chose, étant donné que cette coupure intempestive a pour effet de créer a posteriori un mini suspense quant au sort du gamin friqué ?
En dehors de ces deux trouées «négatives» liées à l’argent, une autre scène fait remonter une violence liée à la situation sociale des personnages, lors de laquelle le titre du film prend tout son sens. Dans celle-ci, Makenzy et son ami Donovan tentent de réparer un velux cassé, lequel fait entrer la pluie dans une des chambres. Quand Donovan casse maladroitement la vitre, Makenzy s’énerve fortement contre lui et l’exclut de la maison – et du film –, faisant une nouvelle fois sortir la violence qui sommeille en lui. Cette scène marque à la fois la fin d’un cycle, car elle entérine le fait que Makenzy et sa soeur vont devoir quitter ce foyer familial, ce cocon imparfait qu’ils tentaient malgré tout de maintenir à flot, et précise également l’idée que la pluie, cet élément extérieur qui s’introduit dans la maison, effectue une trouée perçue comme négative. Il s’agit d’une percée qui implique la fin de quelque chose, la fin du foyer. Dans Il pleut dans la maison, la fonction de la pluie est matériellement négative, elle est perçue par les personnages et indirectement par le spectateur comme indésirable, intrusive.
On aura bien compris que le film de Paloma Sermon-Daï n’a pas pour ambition de prendre des chemins détournés, le premier degré étant bel et bien à l’endroit d’où il s’exprime. Ceci posé et ces trois scènes de percées négatives inventoriées, il faut bien reconnaître que Il pleut dans la maison déploie une mécanique en cela intéressante qu’elle prend à contre-pied ce que construit la grande majorité des films de ce type de naturalisme. Là où ces films installent la plupart du temps une tonalité dramatique sur l’ensemble de leur durée, pour mieux y disséminer des petites trouées «lumineuses», des «moments de grâce» qui feraient entrer l’espoir ou la lumière, Paloma Sermon-Daï propose un film à la tonalité (faussement?) légère, voire humoristique, pour mieux y disperser des percées négatives ou dramatiques, durant lesquelles la violence cachée se révèle. La question se pose encore malgré tout: préfère-t-on des films qui assument leur pessimisme et leur misanthropie tout en faisant sporadiquement passer la lumière, ou un film qui embrasse la lumière pour mieux cacher sa vision pessimiste ?